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3 - Ma peau, mon histoire

Cet article est volontairement long. Je souhaite vous faire une présentation honnête de ma vie d’eczémateuse et pour cela il me faut détailler certaines étapes clés. J’y parle de choses lourdes, douloureuses et traumatisantes qui pourraient vous faire écho et j’en suis navrée. Sachez que j’ai fait la paix avec beaucoup de ces choses, c’est ce qui me donne aujourd’hui le courage de les poser ici. J’espère que cette lecture vous permettra de me connaitre un peu mieux.



Mon enfance

Ma dermatite atopique (DA) s’est déclarée a 2 ans. Ma mère (ayant souffert de cette maladie et mon grand-père avant elle) a pris l’initiative de me faire examiner par un dermatologue de ville dès l’arrivée des premiers symptômes. La prise en charge de l’époque était simple, trop jeune pour les dermocorticoïdes mais pas de problèmes pour hydrater la peau avec des émollients. Le début d’une vie entière de tartinage en règle matin et soir, tous les jours, toute l’année.

Enfant j’avais de l’eczéma localisé dans le cou, le pli des coudes et les genoux. Facile à cacher sous un sous-pull en coton en hiver, un peu moins en été. Mais la belle saison atténuait les symptômes. J’avais la peau moins sèche et donc moins de démangeaisons.

Lessive Le Chat® liquide verte hypoallergénique (depuis qu’elle existe 1989), pain surgras (Avène®, La Roche-Posay®) sans savon pour la toilette, shampooing ultra doux pour les cheveux… Je me souviens d’en avoir beaucoup voulu à mes parents de ne pas avoir pu utiliser du p’ti DOP® qui sentait si bon ou des bains moussants (mais bourrés de produits louches on le sait maintenant).


C’est à l’école que la dimension sociale s’est ouverte. On quitte le giron pour faire nos premiers pas en société, dans un bac à sable géant rempli de petits êtres en devenir du même âge mais déjà bien inégaux.


Les plus lointains souvenirs en rapport avec ma peau sont malheureusement tous tristes, voire traumatisants.


On ne le dira jamais assez, les enfants sont capables d’une cruauté sans limite. A part celle de leur capacité physique peut être. Atteinte d’une maladie de peau je ne pouvais pas cacher les lésions toute l’année, je devais bien m’adapter à la météo et puis, j’étais déjà une petite fille friande de belles robes et de jolies chaussures. Seulement voilà, quand on a la peau rouge, qui saigne, qui croûte et qu’en plus ça nous défigure de temps en temps, les autres enfants ne s'approchent pas vraiment. Et leurs parents ne comprennent pas plus pourquoi je suis comme ça.


Au début je me suis faite repoussée des groupes de jeux, certains ne souhaitaient même pas me toucher de peur d’être malade aussi. J’avais honte de mon corps, il m’empêchait de jouer avec les autres dans le bac à sable ou dans les jeux d'eau. Plus tard, ce sont les railleries qui sont devenues beaucoup plus dures à supporter. « Oh la lépreuse ! » « Aurore ça rime avec horreur ! » « Ne me touche pas je veux pas la lèpre !» « On ne joue pas avec les moches ! » … et tant d’autres que mon subconscient a préféré enfouir pour oublier.

Le pompon, ça a été cette récré en primaire où, encerclée par 4 autres enfants, je me suis retrouvée acculée. Gratuitement giflée parce que différente, malsaine et qu’il fallait battre pour me voir disparaître.


Cet événement traumatique à conditionné toute ma vie. J’avais déjà une vie millimétrée par ma santé mais là c’était différent. Je venais d’être maltraitée physiquement.

Les responsables n’ont jamais payé, ne se sont jamais excusés, les parents n’en n’ont jamais rien su. Je croyais que c’était de ma faute, que je n’étais pas assez bien. Et que c’était la faute de ma mère de m’avoir faite avec cette maladie qui me pourrissait la vie.


Mon adolescence


J’ai supplié mes parents de partir dans une école de filles pour le collège. Je me disais que cela limiterait les dégâts de ne plus croiser de garçons au collège (à défaut de ne plus voir personne). Ils ont été surpris mais ont accepté. J’ai pu laisser derrière moi, sans aucune explication à quiconque, les premières années de ma vie, dont je garde très peu de souvenirs. Et c’est mieux ainsi.

note : Il existe une école pour jeunes filles en région parisienne , la Maison d’Education de la Légion d’Honneur (MELH). Le collège de Saint Germain-en-Laye et le lycée de Saint-Denis accueillent exclusivement en internat les filles, petites-filles et arrières petites-filles de décorés français et étranger sde l’ordre de la Légion d’Honneur ainsi que de l’ordre national du Mérite.


La suite s’est passée un peu moins difficilement, les crises étaient moins tenaces, moins régulières. Mon environnement scolaire était très bienveillant, dormir dans des dortoirs de 50 élèves ça forge le caractère et ça oblige à tolérer les défauts des autres H24. C’était une période dorée, calme, propice à l’étude même si je n’étais pas particulièrement bonne élève. Au moins je me chamaillais avec les copines pour autre chose que l’aspect de ma peau et ça, ça m’allait bien.

Ensuite le lycée. Un changement assez radical puisque je sors de 5 ans d’internat entre filles pour atterrir, sur décision de ma part, dans un lycée public mixte. Les garçons sentent fort et ont du poil au menton. Mon petit frère, lui, pas vraiment, mon référentiel est donc tout à fait flou en matière de mec… comment vous dire…

Dans l’ensemble j’ai été plutôt tranquille pendant les années lycée, jolie même puisque c’est l’époque de mes premiers amours. Je découvre que je plais aux garçons… étonnant mais très agréable. Attention toutefois, le bac approche, le stress des exam’ est à son comble, je rêve de faire une carrière scientifique en cosméto, mais ma peau me rappelle combien je suis malade de toute cette pression.

La crise du bac en 2005 a duré quelques mois. J’ai beaucoup souffert du visage ce qui n’était pas arrivé avant. Défigurée je me pointais en cours avec un foulard sur la tête pour me cacher. Face aux figures acnéiques de mes camarades (la tronche calculatrice), cela ne faisait pas de différence. Je me trouvais moche mais les copains n’y voyaient que du feu (hmmm intéressant comme image). Relationnellement cela s’est bien passé. J’avais un amoureux et de grands projets. Alors bon…

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Par Laurent Faure - 2016

Avec les études supérieures j’ai toujours eu un peu de plaques dans les plis des coudes et des genoux. (Je parlerai des différents traitements que j’ai reçu dans un autre article). Le visage régulièrement et puis j’ai fini par ne plus en avoir vraiment. Enfin pas autant. Un niveau bas quoi… gérable. J'ai eu la paix et pu faire de belles chose en photos pendant quelques années .




Ma vie d’adulte


J’ai traversé comme ça 10-12 ans de ma vie, me tartinant toujours autant d'émollient et de Diprosone® jusqu’en 2017.

Cette année a été très compliquée pour moi. En début d’année, à la suite d’une relation toxique avec un homme manipulateur, j’ai eu le courage de le mettre dehors et retrouver le célibat. Non sans dommage collatéraux car mon corps épuisé commençait à montrer des signes de rupture (eczéma en latence, ça gonfle ça rougit mais ce n’est que le début). Au mois de mai, réunion de famille, choc émotionnel, le début d’une spirale infernale … en quelques semaines je me suis retrouvée avec 80% du corps à vif, suintante, des lacérations partout. Dans mon dos j’avais la trace de mes ongles comme si je m’étais battue avec un ours. J’étais défigurée.





Impossible de m’habiller. Sortir était hors de question, croiser un miroir non plus. Pendant l’été mon médecin traitant ne m’a pas vraiment aidé, je me suis sentie abandonnée, incomprise. Je n’avais pas les bonnes doses de dermocorticoïdes donc je ne pouvais pas pallier l’inflammation (mais ça je ne m’en doutais pas). Je me suis mise en tête que c’était peut-être alimentaire, ou trop de bière entre métalleux … alors je me suis affamée… et j’ai mangé uniquement des pommes pendant plusieurs semaines. Puis en septembre la dépression s’est installée, j’ai re-mangé. Sain ou presque. Les copains sont là mais ils sont bien impuissants. Ma meilleure amie vient régulièrement m’aider à faire mes soins car je ne m’en sors pas seule. Mais la pauvre est bien dépassée.


J’ai continué à aller travailler, pas de repos pour les braves ! (Comme dirait certains : l’eczéma c’est dans la tête, on va pas se mettre en arrêt pour ça). Mon chef me voyait dépérir à petits feux sans savoir quoi faire. Un jour je lui ai dit « J’en peux plus, je suis fatiguée, je pars quelques semaines en cure thermale. Je reviendrai après, ça ira mieux ». Il m’a presque poussée dehors pour que j’y aille plus vite. Me rappelant que si j’avais besoin de plus de temps il m’en donnerai sans compter ❤️‍🩹.


Octobre, j’atterri aux thermes de Saint-Gervais, magnifique endroit au cœur de la Haute-Savoie. Avec mon ordonnance de médecin traitant, ma valise et ma peau prête à exploser sous l’effet de l’infection au Staphylococcus doré(**) qui est en train de me bouffer le haut du corps.




Ce furent 3 longues semaines difficiles. Après un bilan avec le dermatologue, la douleur lors des douches à jets, la sensation de se faire arracher la peau chaque matin, les suppliques au médecin qui n’a pas voulu entendre que je souffrais atrocement, pleurer, crier, à en faire peur aux autres curistes.

La cure c'était aussi les squats sous la brumisation (et oui c’est long 20 min on s’occupe comme on peut), le calme du bain la tête sous l’eau pour ne plus rien entendre que mon propre cœur. Des journées entières à dormir, épuisée, faire un petit tour en forêt mais pas loin parce que trop fatiguée. Même pas le courage et la force d’aller visiter le coin. Un ou deux amis me rendent visite. Mais je me sens vraiment très seule. Abandonnée. Personne ne veut comprendre ce qui m’arrive, je ne trouve aucune écoute, mes propres parents traitent la situation comme “un caprice”, je suis “une caricature de sitcom américain”, “il est temps que tu trouves un mec pour te faire baiser, ça te détendra”.


Je n’ai jamais autant souffert de ma vie. Dans mon corps, dans mon esprit, dans mon cœur et dans mon âme. Je n’en peux plus, je veux en finir…


Je veux mourir.

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Après 3 semaines de cure thermale

Début novembre, je rentre de cure. Ma peau va un peu mieux, elle a fini par cicatriser. Je ressemble à une tomate ambulante, gonflée, rouge mais plus suintante.


On ne me prescrit toujours pas de vrai traitement. Seulement des indications sur les huiles lavantes et baumes (Aderma® gamme Exoméga à l’époque) à utiliser tous les jours. Un peu de Diprosone® pour les derniers « bobos ». Ils sont pourtant médecins dermatologues… je ne cherche pas, je ne cherche plus, j’abandonne. Et je culpabilise. Comme si tout ça était de ma faute. J’ai commencé une thérapie psy en parallèle(*) donc je pense être sur la bonne voie. J’essaye de rester positive. Un jeune homme fort et courageux a décidé de rentrer dans ma vie…Le pauvre je n’ai rien à lui offrir, je ne peux déjà pas prendre soin de moi. Il persiste et m’assure qu’il sera assez fort pour deux… l’avenir le confirmera...


En novembre, les effets de la cure disparaissent comme neige au soleil et en décembre j’entame la dernière ligne droite de ce combat contre moi-même. Sur les conseils de collègues soucieux de ma santé (si si ! des collègues comme ça, ça existe) j’atterris au pavillon immuno-allergo des HCL de Lyon sud dans le bureau du Dr Audrey Nosbaum. Elle me dit “Ne vous inquiétez pas Aurore, nous allons vous soigner”. J’y crois à peine, vu mon état physique et mental, les chances me paraissent infimes pour que je revienne à la vie. Elle insiste et m’annonce qu’elle me garde, mon compagnon peut repartir sans moi … je resterai à l'hôpital pendant 3 jours.


3 jours, qui ont tout changé


Dans le service, les médecins prescrivent un “habillage” en première intention. “L'habillage”c’est un mot correct et joli pour dire « tartinage en couche épaisse ». Les infirmières m’ont appliqué un mélange de cérat de galien mélangé à des dermocorticoïdes (cf articles dédiés) en bonne dose sur tout mon corps. Elles ont été d’une grande douceur, dans leurs mots, leurs gestes. Il est tellement difficile de se montrer nue face à autrui, se laisser toucher par autrui dans ces moments-là. Elles m’ont ensuite « habillé » avec des bandes de Tubifast® (bandes de coton tubulaires). Une vraie momie ! Nous avons caché le tout sous un ensemble bleu d’hôpital pour que je puisse me mouvoir sans risque. Je suis restée dans le service 3 jours et 2 nuits. Pendant ce court laps de temps j’ai vu la rapidité d’efficacité de la technique.

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En sortant de l'hôpital en décembre 2017. Droite : la tenue de sortie. Gauche : l'habillage

Quand je suis ressortie, ce n’était pas miraculeux, mais je ne souffrais plus, et ma peau avait bien dégonflé.


Cf les photos ci-contre prise à mon retour chez moi.


J’avais retrouvé le sourire et un peu la foi en la médecine. Comme quoi faire la tartine peut remonter le moral. J’ai pu bénéficier aussi d’un atelier d’éducation thérapeutique présenté par le Dr Bourrel-Battaz (dermatologue aux HCL). Une première pour moi, des médecins qui prennent le temps d’écouter leur patients et leur expliquer pourquoi ils sont malades… c’est fantastique. presque trop beau pour être vrai.


Par la suite, j’ai fait ces habillages le soir avant de dormir pendant une dizaine de jours. J’ai revu le médecin qui a noté une nette amélioration mais le problème n’est pas réglé. ma peau est toujours en feu et le moindre stimuli pourrait faire redémarrer les crises. En février 2018, le médecin et moi tombons d’accord, il faut un traitement plus adapté et surtout plus efficace pour traiter en profondeur. C’est parti pour un traitement par immuno-modulateurs avec le Méthotrexate(R) (CF article à venir). Le début d’une nouvelle vie.


Le retour à la Vie.



Depuis 2018 j’ai passé 5 ans sous Méthotrexate, j’ai changé pour la bio-thérapie en août 2022. Ces traitements sont source d’un confort de vie sans pareil. Dès les premières semaines, l’efficacité est là, la peaux cicatrise, le prurit (démangeaisons) diminue pour finalement disparaître, la peau est comme photoshopée, lissée, belle et tellement douce.


aurore toute belle août 2023
Août 2023 - sans filtre - au naturel

Aujourd’hui je suis fière de ma peau, je la montre, je l’expose, je l’ai même tatouée.


Mais je suis avant tout fière de moi, malgré tout ce que j’ai traversé, je suis fière d’avoir trouver au fond de moi la force de me battre, fière d’avoir fait du tri autour de moi pour garder les personnes importantes, fière de tous les efforts et les échecs que j’ai rencontré et qui m’ont rendu plus forte.


Je suis fière de partager mon expérience avec vous. Dans mon blog il y aura des articles plus précis sur certains points abordés ici, j’espère que leur lecture vous apportera des connaissances et du réconfort.






Merci de m’avoir lu jusqu’au bout. Peut être que vous vous reconnaitrez un peu dans mes mots. Si cela fait écho à votre propre douleur j'en suis désolée, mais sachez que vous n'êtes pas seul et que des solutions existent pour mieux vivre avec la maladie. Bonne lecture pour la suite des articles à venir.

Prenez soin de vous.




 

(*) je reviendrai sur le sujet dans un prochain article.

(**) Un Staphylocoque doré (S. aureus) est une bactérie qu'on peut trouver habituellement sur la peau ou dans les narines des personnes. En général inoffensif chez les gens en bonne santé, le staphylocoque doré peut parfois causer des infections. Ces dernières sont alors traitées par un antibiotique.


Education thérapeutique : Telle que définie par l’OMS, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) , « vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. Elle comprend des activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie. Ceci a pour but de les aider, ainsi que leurs familles, à comprendre leur maladie et leur traitement, à collaborer ensemble et à assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en charge, dans le but de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie. ».


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